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UTILISATION DES POUBELLES COMMUNES PAR LES COMMERÇANTS

Millions 25 de propriétaires

REVUE DE L’UNPI • ISSN : 2102-0728 • Numéro 544 • Octobre 2020

Article de Xavier Martin, administrateur de bien et gérant de MARTIN GESTION

« En copropriété, il est fréquent que coexistent des lots destinés à l’habitation et d’autres destinés à l’usage commercial. L’exploitation d’un restaurant ajoute à la sensibilité de la situation, et plus singulièrement se pose la question de la gestion de ses déchets.« 

Xavier Martin administrateur de bien

Les épluchures, carcasses de viande, fins d’assiettes et cadavres de bouteilles ne seraient pas les bienvenus dans les bacs de la résidence. Le trafic renouvelé à chaque service des brigades de cuisines en direction des locaux poubelles de l’immeuble risque d’amener une mauvaise ambiance entre voisins.
Les réclamations ne manqueront pas de survenir, les copropriétaires pouvant se plaindre d’une saturation des containers de l’immeuble, d’émanations d’odeurs ou encore des bruits liés à la manutention dans les
locaux communs de l’immeuble.
Dès lors des questions se posent. Le restaurateur a-t-il le droit d’utiliser les containers
communs de la copropriété ?
L’assemblée générale de la copropriété peut-elle décider de restrictions ? Est-ce que le restaurant doit s’organiser avec ses propres moyens pour gérer ses poubelles ? A-t-il des obligations particulières sur le traitement de ses déchets ?

Comment appréhender sereinement ces questions qui peuvent être autant de points de tensions : que prévoient les textes et quelles sont les bonnes pratiques ?

Du point de vue des textes applicables, il faut distinguer trois niveaux d’obligations :

  • Les règles existantes qui définissent les critères de la construction de l’immeuble, issues du Code de la construction et de l’habitation (CCH) et des prescriptions de la commune ;
  • Celles applicables au cours de la gestion de l’immeuble, qui organisent les droits et les obligations des copropriétaires sur les parties communes en application de la loi du 10 juillet 1965 ;
  • Enfin, considérer les règles nouvelles et les bonnes pratiques dans un contexte évolutif qui marque une tendance en la faveur de la protection de l’environnement et de la lutte contre le gaspillage.

Le Code de la construction et de l’habitation

L’article 111-3 du CCH prescrit l’obligation dans les immeubles collectifs de créer « un local clos ventilé pour le dépôt des ordures ménagères avant leur enlèvement ». Ce local doit être équipé d’un point d’eau avec son évacuation.

Par ce local transiteront les bacs, qui ne peuvent demeurer en point fixe sur les aires de présentation extérieures. La copropriété doit organiser un planning d’entrée et de sortie des containers coordonné avec les heures de collectes des communes ou de leurs groupements qui ont la responsabilité d’assurer la gestion des déchets ménagers et assimilés.

Les locaux poubelles ont une surface qui est déterminée par la quantité des déchets produites et par la fréquence des collectes.
Ces caractéristiques sont donc définies au permis de construire sur prescription des communes ou leurs groupements.

Lorsqu’il n’existe pas un tel local, ce qui peut être le cas dans les immeubles les plus anciens, des solutions devront être recherchées dans les espaces éventuellement disponibles de la copropriété. Il demeure que les poubelles ne devront pas être directement déposées dans les parties communes de circulation pour des raisons sanitaires évidentes. Sur le terrain, les solutions ne sont pas toujours faciles à trouver.

De plus, l’évolution des circonstances depuis la construction de l’immeuble, tant au regard du tri sélectif qui s’est imposé avec la multiplication des bacs de collecte qu’au regard de l’arrivée possible d’un nouveau commerçant dans l’immeuble, peut aggraver la situation.

Ces changements non anticipés à la construction induisent une exiguïté des locaux, une insuffisance du nombre de bacs, avec toutes les suites décrites plus haut en matière de nuisance.

Le droit de la copropriété

Se confrontent ici deux principes. Celui de l’égalité entre les copropriétaires et celui de l’interdiction de porter atteinte aux droits des autres copropriétaires.

Sur le principe d’égalité :

Il faut rappeler que le propriétaire du local commercial détient sur les parties communes de la copropriété les mêmes droits
que l’ensemble des autres copropriétaires. Ce raisonnement vaut par application des articles 4 et 9 de la loi du 10 juillet 1965 :

Article 4 : « Les parties communes sont l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires ou certains d’entre eux seulement ; leur administration et leur jouissance sont organisées conformément aux dispositions de la présente loi. »

Article 9 : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot, il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble.»

La Cour de cassation en fait état dans son arrêt du 11 mars 2009 (n°08-10566) :

  • dans le cas jugé, la Cour relève que le règlement de copropriété ne prévoit aucune discrimination au préjudice des commerçants, ni aucune dispense pour eux du paiement des charges y afférentes ;
  • les déchets de cuisine d’un restaurant sont, sauf circonstances particulières non alléguées en l’espèce, de même nature que ceux des particuliers et ni plus ni moins dangereux ou polluants ; la Cour précise qu’il s’agit de déchets assimilables à ceux des particuliers.

A contrario, il doit donc être considéré que jeter dans les bacs des déchets dangereux ou non conformes à du déchet ménager constituerait un abus susceptible d’être sanctionné.
Bien sûr, le commerçant ne doit pas commettre de nuisance particulière et le fait de jeter ses sacs fermés d’ordures ménagères
dans des bacs prévus à cet effet n’est pas en soi une nuisance.
Dans les conditions précitées, le restaurant a donc parfaitement le droit d’utiliser le local à ordures ménagères au même titre que tous les autres copropriétaires.

Sur l’atteinte aux droits des autres copropriétaires :

L’équilibre peut être rompu dès lors que les déchets du restaurant sont en tel nombre qu’ils n’ont plus de commune mesure avec ceux des autres copropriétaires et que cet excès crée un encombrement, une aggravation des odeurs, écoulements, salissures, donc des nuisances.

Il faut rester dans une logique d’utilisation proportionnée, et c’est aux juges qu’il appartiendra de se prononcer le cas échéant sur le caractère anormal ou excessif de cet usage.

C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 1er juillet 2015 (n° 13/21582) a jugé que « l’exploitant d’un restaurant dans un immeuble ne peut imposer des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage du fait de l’entreposage d’un grand nombre de containers, déchets alimentaires ou autres».

La Cour relevant que « les déchets sont entreposés dans des containers placés dans la cour de l’immeuble sans soins ni respect de l’hygiène et de la propreté des parties communes, que ces déchets débordent, se répandent sur le sol, laissent des coulées grasses, souillent les parties et passages communs, stagnent sur le trottoir et empêchant l’accès à l’immeuble».

Enfin, la Cour conclut « qu’il appartient par conséquent à l’exploitant du restaurant de garder ses containers de déchets et poubelles dans ses locaux privatifs et de les sortir sur le trottoir aux horaires impartis par la ville, sans causer aucune souillure ni désordres aux parties communes
ni gêne ou entrave au passage des copropriétaires (…) ».

Il apparaît donc raisonnable que les copropriétaires adoptent en assemblée générale une résolution, empruntant à ce raisonnement, et rappelant d’une part le principe d’égalité entre les copropriétaires quant à l’usage du local poubelles, mais édictant d’autre part des restrictions quant à un usage anormal ou excessif et dans ce cas appelant l’auteur de ces excès à se pourvoir de son propre système de stockage et d’évacuation des déchets.

Les évolutions environnementales et anti-gaspillage

Les consciences ont évolué et le cadre législatif aussi. Le traitement, la valorisation des déchets et la lutte contre le gaspillage sont devenus des préoccupations au cœur des services de la restauration.
Des textes sont venus resserrer ces obligations et ainsi, depuis le 1er janvier 2012, les plus gros producteurs de biodéchets ont l’obligation de les trier et de les valoriser dans des filières adaptées. Au 1er janvier 2016, les seuils ont été abaissés de sorte que ce sont dorénavant les professionnels produisant plus de 10 tonnes par an de biodéchets, et de 60 litres par an pour les huiles qui sont concernés.

Progressivement les obligations vont gagner l’ensemble de l’activité. C’est l’ensemble des établissements, petits ou grands, qui s’organisent dans ce sens.

Concrètement, il s’agit de déposer les bouteilles de verre dans des collecteurs de récupération de verre (ex « récup verre »), de recycler grâce à des collectes les huiles de fritures qui peuvent être valorisées dans le secteur de la mécanique par exemple (ex « Roule ma frite »).
Certains déchets alimentaires (épluchures, etc.) peuvent trouver des solutions dans des circuits de relevage à destination de composteur (ex« Eco digesteurs »).

Notons que la loi n° 2020–105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ajoute aux missions du syndic dans toute copropriété, qu’elle comporte ou non des locaux commerciaux, l’obligation d’informer les copropriétaires des règles locales en matière de tri des déchets. Ainsi, à compter du 1er janvier 2022, le syndic devra informer les copropriétaires des règles locales en matière de tri des déchets et de l’adresse, des horaires et des modalités d’accès des déchetteries dont dépend la copropriété.

Cette information sera affichée dans les locaux des ordures ménagères et transmise au moins une fois par an aux occupants, ainsi qu’aux copropriétaires.

C’est toute la logique et la logistique de la gestion des déchets qui change, nous sommes tous concernés, et en toute hypothèse l’information, la responsabilité des copropriétaires, le dialogue au sein de la copropriété et le savoir-faire du syndic devront rester des valeurs fortes dans les organisations des copropriétés.